Biographie
Fondateur des Éditions Logiques, créateur de la première maison d’éditions de logiciels au Québec, l’écrivain Louis-Philippe Hébert (1946 —) est un poète et romancier québécois. Ses œuvres reçoivent de nombreux prix dont le Prix Fierté Montréal à sept reprises, le Prix du français en informatique attribué par le Conseil de la langue française, le Prix du Gouverneur Général, le Premier prix du Festival de poésie de Montréal et le Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Il a été nommé Créateur de l’année par le CALQ. Ses créations sont originales : elles brisent les conventions et elles provoquent des réactions. Une écriture rêveuse, à la limite de l’onirisme, aux accents délirants et lumineux, évoque un autre univers et révèle une sensibilité de visionnaire. Il a été reçu membre de l’Ordre des francophones d’Amérique pour l’ensemble de son œuvre littéraire et informatique. Le style de Louis-Philippe Hébert est très direct ; avec une économie de métaphores, le poète qui est aussi informaticien aborde les sujets les plus sensibles de son époque.
Entrevue
Je passais de longues heures en retenue. Trop agité, on voulait ainsi m’apprendre à cesser de bouger et à me taire. Ce qui n’était pas bête en soi, mais totalement irréalisable. Je lisais dans la grande salle de retenue. Je ne sais pas quel hasard a permis que, lassé des Bob Morane et des Nick Jordan, je sois tombé sur les Histoires extraordinaires d’Edgar Poe. J’ai tout lu Poe (il n’a pas beaucoup écrit) ; tout d’abord, j’ai lu ses textes en prose, puis j’ai découvert ses poèmes dont le célèbre « Le corbeau ». J’étais fasciné. J’avais onze ou douze ans. Je suis vite arrivé au bout de l’œuvre traduite. J’ai remarqué les noms des traducteurs parmi lesquels Mallarmé et Baudelaire. J’étais tombé sur des grands. Je les ai empruntés à la bibliothèque et j’ai lu ce qu’ils avaient écrit (pas beaucoup, eux non plus). Ce sont eux, Poe, Baudelaire et Mallarmé qui m’ont ouvert les portes de la littérature. J’ai tout de suite vu que les mots ne servaient pas qu’à « rapporter » une histoire comme dans les journaux. J’ai compris que le « comment c’est écrit » pouvait être d’une inépuisable beauté.
J’ai commencé à écrire de la poésie, des nouvelles et même un roman quand je suis arrivé au bout de Poe, Baudelaire et Mallarmé. Voici comment ça s’est passé. J’étais en éléments latins. J’avais trois retenues. Le mardi, le jeudi et le samedi. Trois heures, chaque après-midi. Frustré de ne plus avoir à lire (j’avais épuisé mes trois grands auteurs, enfin ce que j’avais pu trouver d’eux), j’écrivais une nouvelle ou un poème le mardi, je le corrigeais le jeudi, et, le samedi, lecteur comblé, je lisais ce qu’avait écrit mon auteur favori, c’est-à-dire moi. Parallèlement, je lisais beaucoup de traités d’astronomie. Je donnais de petites conférences annoncées partout dans le collège sur des thèmes qui s’apparentaient à la science-fiction : qu’arriverait-il si nous étions mis en contact avec des extra-terrestres ? Auraient-ils connu eux aussi un Sauveur ? Pourraient-ils partager le nôtre ? Je faisais salle comble. Les thèmes abordés plaisaient beaucoup à mes professeurs (j’étais chez les Jésuites). Je m’intéressais aussi à la cybernétique, à la robotisation et à l’intelligence artificielle. Pour moi, l’écriture était aussi un mode de connaissance. Un laboratoire. Vous comprendrez qu’à cette époque je détestais l’appellation de « poète » qui me paraissait péjorative, qui prêtait à moquerie. Non, j’étais un écrivain, rien de moins. Pourtant encore aujourd’hui je crois que le véritable test de l’écrivain, c’est la poésie. Un écrivain qui ne sait pas écrire de la poésie n’est pas un véritable écrivain.
Objets de beauté ! Il doit y avoir une parfaite adéquation entre l’émotion, l’intelligence, les mots et le monde dans lequel on vit. La poésie est une science absolue. Je répète souvent que les clés de la poésie reposent dans cette expression « des mots qui veulent dire quelque chose ». Tout est dans ce « vouloir dire » qui est une porte ouverte. Nous ne sommes pas devant l’atteinte d’une signification, d’un sens précis, mais dans un cheminement vers le sens. Ce qui importe alors ce n’est pas tant la communication au sens journalistique du terme, mais bien le mouvement vers la communication parce que ce mouvement a une force en lui, un sens qui, à la manière d’un algorithme, a une certaine forme d’immatérialité. La mécanique de la parole devient alors un art, et les mots agissent au même titre que les couleurs pour un tableau, les sons pour une pièce de musique, les formes pour une sculpture, etc.
Les deux poèmes sont des constructions, et le hasard a voulu que ce soit deux poèmes qui illustrent bien ce qui précède. Ils n’ont pour ainsi dire jamais fait l’objet d’une correction intensive. Ce sont des objets spontanés. Leur simplicité n’est qu’apparente. Ils ont leur logique. Et ils vont jusqu’au bout de cette logique d’une manière inéluctable. Ils laissent aussi paraître une forme d’émotion, une sensation d’étrangeté qui répond bien de l’époque décrite, celle de l’adolescence.
Je choisirais « Un adjectif pour le sable ». Ce poème a pour moi un écho particulier. Ça m’est vraiment arrivé. C’est très autobiographique comme la plupart des poèmes du Livre des plages. Pour moi, un poème est un acte de pure vulnérabilité, et ce qui en résulte doit être une pure authenticité. De cela, je peux ici répondre sans crainte…
N.B. Je n’ai jamais rendu à la bibliothèque le livre de Baudelaire, mais j’ai une excuse : le collège a été démoli. Les Jésuites sont partis. Et le monde a changé. Mais la poésie, elle, demeure.